Là où les chiens aboient par la queue
Estelle-Sarah Bulle
Roman Caribéen
Parution en 2018
“Dans la famille Ezéchiel, c’est Antoine qui mène le jeu. Avec son “nom de savane”, choisi pour embrouiller les mauvais esprits, les croyances baroques et son sens aigu de l’indépendance, elle est la plus indomptable de la fratrie. Ni Lucinde ni petit frère ne sont jamais parvenus à lui tenir tête. Mais sa mémoire est comme une mine d’or.
En jaillissent mille souvenirs-pépites que la nièce, une jeune femme née en banlieue parisienne et tiraillée par son identité métisse, recueille avidement. Au fil des conversations, Antoine fait revivre pour elle l’histoire familiale qui épouse celle de la Guadeloupe depuis les années 50: l’enfance au fin fond de la campagne, les splendeurs et les taudis de Pointe-à-Pitre, le commerce en mer des Caraïbes, l’irruption du roi béton, la poésie piquante du créole, et l’inéluctable exil vers la Métropole…”
Mon avis
Ce livre est la grande révélation de tout les livres créole que j’ai pu lire. Et comme vous le savez, je suis une grande admiratrice des auteurs comme Maryse Condé et Raphaël Confiant. Mais Estelle-Sarah Bulle a mit la barre très haut dans ce roman. J’ai plongé intégralement dans la vie guadeloupéenne à l’époque de mes grands-parents.
Bien qu’ils soient martiniquais et que je sois née dans les années 90, j’ai pu aisément identifier dans ce récit leurs vies assez difficiles durant et après la guerre dans une île française sur papier mais le contraire en réalité.
Estelle-Sarah Bulle maîtrise une écriture concrète, poétique, qui révèle la beauté de la nature des paysages comme la misère des faubourgs, les couleurs et les saveurs, sans tomber dans l’exotisme.
L’auteure campe dans le rôle de la nièce Eulalie, une métisse métropolitaine, qui va interroger son père ainsi que ses deux tantes sur leurs enfances à partir des années 40. Ainsi que les raisons de leurs exil vers la région parisienne afin de s’approprier l’histoire familiale de la branche guadeloupéenne.
Par ces témoignages, nous voyageons jusqu’à Morne-Galant en Guadeloupe, un village au bout d’un chemin où il n’y a rien, à part des vaches et quelques habitants : « Encore aujourd’hui, les Guadeloupéens disent de Morne-Galant : « Cé la chyen ka japé pa ké. » (Là où les chiens aboient par la queue).
Antoine, l’aînée, désignée par ce «nom de savane» préféré à son nom de baptême «pour embrouiller les esprits», Lucinde et Petit-frère, les trois enfants d’Hilaire Ezechiel, un beau parleur descendant d’esclaves, et d’Eulalie Lebecq, appartenant à la communauté des Blancs-Matignon vont retracer la saga familiale de la famille Ezechiel.
Le plus grand témoignage de la saga familial des Ezechiel est porté par son héroïne principale, l’énergétique et piquante Antoine. Elle nous entraîne avec entrain dans ses aventures rocambolesques et drôles mêlant avec saveur le réel et le folklore des Antilles. Nous découvrirons avec elle, l’évolution de la société guadeloupéenne, ses péripéties à la capitale suite à sa fugue, son enthousiasme dans le domaine du commerce comme sa mère. Mais surtout les croyances pittoresques des Antilles, héritage d’un mélange entre l’Europe et l’Afrique qui vaut largement le détour.
Quinze ans plus tard, en parlant avec Antoine, je comprenais que je devais être aussi libre qu’elle, me souvenir sans me retourner sans cesse. C’était finalement le lot et la chance des Antillais, ces passagers perdus qui voyagent sur tous les continents, de New York à Saint-Louis du Sénégal, de Caracas à Shenzhen.
J’apprenais à aimer mon histoire et la matière dont elle était faite, une succession de violences, de destins liés de force entre eux, de soumission et de révoltes.
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