Le mythe du grand coqueur
Après avoir abordé la thématique sur l’usage du dlo koukoun par la femme, nous allons explorer le mythe du grand coqueur chez l’homme. Aux Antilles, l’homme virile et grand séducteur devant l’Éternel est un homme valorisé dans la société. Il doit parader comme un grand coq dans la basse-cour afin de koké toutes les poulettes sur son passage, quitte à engendrer une ribambelle de petit poussins. Et à continuer son chemin sans même les reconnaître.
Pour se satisfaire sexuellement et battre les records entre copains, l’antillais peut recourir au tjenbwa et à une multitude de recettes traditionnelles. Et je trouve qu’en matière de tjenbwa il y a beaucoup plus de procédé en faveur de l’homme. La femme se contentera du dlo koukoun et de procédé pour amarrer tandis que l’homme peut grossir son sexe, amarrer, augmenter sa libido, être indestructible au lit, etc.
Notre quimbois actuel est il un reflet de certains traumatismes du passé ? Quels sont les origines de ce troubles chez l’homme antillais ? Peut on espérer que la charge poto-mitan soit partagée équitablement au sein du couple ?
Antan lontan, à l’époque du Dieu canne
Mourougayan avait en horreur le terme créole que Blanc et nègres utilisaient pour désigner l’acte d’amour : coquer. Chaque fois qu’il entendait, il voyait l’image d’un coq en train de grimper sur le dos d’une poule et de lui becqueter deux trois mouvements saccadés du croupion.
Extrait de la Panse du chacal de Raphaël Confiant
A cette époque, la plupart des esclaves n’avaient pas le temps ni le loisirs de chérir le corps de leur partenaire. Comme souhaitait le maître, il fallait qu’il fasse honneur à son rôle d’homme étalon. Il était encouragé à avoir une multitude de partenaire afin de semer des négrillons. En effet face à la rudesse des champs de canne, il fallait que la main d’œuvre soit constamment renouvelée.
La sexualité de l’homme noir est perçue comme brutale et associée à une forme de viol. Car ces hommes étalon étaient le plus souvent des commandeurs de plantation. Ils étaient choisis pour leur brutalité, leur force, leur capacité de répression sur ses semblables. Par ses privilèges, il se comportait comme un grand coq dans la basse-cour et se servait des esclaves pour assouvir ses pulsions sexuels. La descendance n’était pas la première motivation mais ce genre de viol répété pouvait aboutir à des naissances.
Le maître de la plantation accordait ce genre de privilège au commandeur, afin de lui donner un semblant de liberté pour qu’il soit toujours servile et productif. Cela sous entend que la femme esclave était la victime de viol par le maître mais également victime d’une partie des hommes noirs (ceux qui avaient le pouvoir de commander). De plus, le maître était considéré comme un exemple à suivre. Il fallait suivre les pas d’un homme qui pouvait avoir une épouse et de nombreuses maitresses. Le maître chevauchait les négresses et ignorait sa propre descendance.
L’étalon
L’homme noir était servile, dans sa servitude il lui restait un certain pouvoir sur la femme à travers sa sexualité. Toutefois, le fait de confier le produit de sa semence et sa descendance au maître, apparaît comme une sorte de vol, dans la mesure où la fonction du père n’est pas assurée, mais il est inscrit uniquement dans celle du reproducteur.
C’est ainsi que la représentation du mulâtre, terme qui vient de mulet (croisement d’un cheval avec une ânesse) est elle aussi chargée de la puissance sexuelle, mais aussi, de la différence statutaire entre le père et la mère. De cette relation, les enfants bénéficieront toujours de la puissance, celle du cheval (le maître) de par sa taille, sa puissance et de par sa valorisation dans l’échelle.
De ce fait, par cette pensée fantasmatique, de nos jours nous avons l’impression que si l’un des parents est celui qui représente une forme de pouvoir, alors sa descendance bénéficiera au moins partiellement de ce pouvoir. Cela peut expliquer en partie le dédain des mulâtres envers les nègres. Bien évidemment, il s’agit d’un fantasme et non de la réalité qui faisait qu’une partie des enfants nés d’une relation entre les maîtres et leurs esclaves, pouvait obtenir le statut de libres de couleurs.
Nous pouvons constater aux Antilles et d’ailleurs nous le savons très bien dès notre plus jeune âge (subtilement), qu’il existe une double hiérarchie, celle instituée par le statut social et celle institué par la couleur (plus subtile mais qui persiste toujours).
Néanmoins il faut souligner qu’au début du XVIIe siècle, pour des raisons culturelles les esclaves continuaient à utiliser un modèle familial, issu de la polygamie comme en Afrique de l’Ouest. Mais aussi pour des raisons économique, car il fallait un matériel suffisant et des compétences pour que l’esclave puisse prendre en charge une famille.
Peut on évoquer une polygamie exacerbée par la traite négrière ?
Applaudissez, le coq kok !
Pourquoi un homme, dès lors qu’il a une relation avec une femme, éprouve le besoin de se vanter de cette situation auprès de son entourage ?
« Ha oui, mwen ka koké manzel ? »
« I ka fè mannyè mais hier soir man bay-li ! «
Nous savons qu’il est indispensable pour ces messieurs, que la population sache la grandeur, la vigueur et la force de leur koko. Une féroce compétition règne dans les buvettes, sur la place de la cité, etc ; qui des compères a réussit à mater, makaté, pliché, sa partenaire ? Plus on détail mieux c’est, il faut convaincre l’assemblé de ses nombreux exploits. Et si vous étiez le vainqueur, on boirait en votre nom tout en vous félicitant.
La musique de nos îles est un très bon moyen de diffuser cette magnificence. Prenons par exemple la chanson de Krys : Programme de la semaine qui illustre parfaitement cette pensée masculine:
An ka kitéw le vendredi
Je te quitte le vendrediPou rankontré on dot fanm les sanmdi
Pour rencontrer une autre meuf le samediPou kriéy lé dimanch èvè géréy lé lindi
Pour l’appeler le dimanche et la gérer le lundiC’est clair que douvan pon fanm en pa kay bigidi
C’est clair que je ne perderais les pédales devant aucune femmeSi ti ni pou Vanessa, ti ni aussi pou Cindy
Si il y en a pour Vanessa, il y en a aussi pour SandyAn pa on tchitchi, so arété fè chichi
Je suis pas un PD, alors arrête de faire des chichiC’est sur apa èvè man margrit’ en kay fè tai-chi
C’est sur que c’est pas avec Man Mawgrit’ que je vais faire du tai-chiAn sé on rude boy é mwen inmin les sexy
Je suis un rude boy(3) et j’aime les sexyAn pa ka tchèk pon makomè, évè mwen pa paksé
Je ne fréquente aucun PD, et je suis pas pacsé
Source : Semeurs de sperme, l’autre crime : le cas de la Guadeloupe de Marie-Héléna Laumuno
Avant que les Noirs ne soient réduits en esclavage, ils étaient livres et parmi eux, certains possédaient une ou deux femmes d’après leur position sociale. La traite et l’esclavage négriers ayant séparé les mères, les pères et les enfants, de ce fait, des hommes se sont retrouvés seuls. Sur l’habitation, les hommes regardaient les femmes, elles-mêmes regardaient les hommes. Ils s’attirait les uns les autres.
Mais le maître détenait l’autorité sur toutes les femmes. Elles étaient sa chose, sa propriété sur laquelle il avait tous les droits. Selon ses désirs, il choisissait l’une d’entre elles et en abusait autant qu’il le voulait. Cette femme qu’un Noir réduit en esclavage avait en vue tandis qu’elle-même, de son côté, avait cet homme, c’est elle qui devenait la proie de ce maître . Le coeur de l’homme se fendait. Celui-ci voulait prendre sa revanche sur le maître.
Qu’arrivait t’il ? Le jour où cet homme et cette femme finissaient par se rencontrer en l’absence du maître, ce qui devait se faire, finissait par se produire. L’acte s’accomplissait. Mais d’après l’homme, c’était aussi sa façon de prendre sa revanche sur le maître. Voilà pourquoi il se sentait obligé de raconter cet exploit à ses camarades nègres.
Une position de vainqueur. Et cette position s’est transmise par la famille et le réseau amical. Et d’ailleurs, l’homme qui a reçu un tel héritage, ne raconte jamais l’acte comme un moment de plaisir partagé mais comme une bataille qu’il a gagnée. Ce sentiment s’est transmis de génération en génération; si bien qu’aujourd’hui encore lorsque l’homme parle de ses « conquêtes sexuelles », c’est toujours en termes de victoire.
Les savoirs du grand coqueur
Ou wè boutey moun’lan ouvè
(Tu as vu que la bouteille de l’autre est ouverte)
A tout’ fos a tout’fos
(A tout prix, à tout prix tu veux)
Ou lé mété an bouchon an djol’li
(La fermer avec un bouchon)Ou wè manniè ta la ou ni an
Ti Bouchon d’Eugène Mona
(Tu vois avec tes mauvaises manières)
Yonn’sé kat maten an yo ké koupé bouchon’w
(Un jour on finira par t’émasculer)
Pour parader bien comme il faut, notre coq à une panoplie de recette et de procédé pour y arriver. Il faut que son koko soit toujours au taquet quelque soit la demande. Il faut que la grosseur de son pénis fasse crier sa partenaire, plus il est gros plus il a de chance de ne jamais tomber dans les oubliettes. En effet, l’homme doit ressortir glorieux de cette bataille afin de marquer à tout jamais sa partenaire.
J’ai déjà entendu cette fameuse parole quand une gérance appelait son crush; et que celui ci feignait la lassitude avant de décrocher. En disant par exemple : « Encore manzel tjip ! Voilà ce qui ce passe quand le travail est bien fait ! « . Et bien évidemment, tout le monde rigolait pour acquiescer.
Le viatique du grand coqueur
Pour ne jamais flancher au lit et même avoir le loisir de contenter plusieurs partenaire en une nuit, oui je dis bien en une nuit, il était d’usage de recourir au viatique du grand coqueur (Nord de l’île). Il fallait se procurer les organes génitaux de neuf tortues femelles ou de cinq mâles au moment de l’accouplement, les tortues ne devant pas être capturées ni au filer ni à la senne. Les organes sont conservés dans du sirop de batterie jusqu’au neuvième jour du mois de Marie, patronne de la femme fertile.
Puis, on les met à sécher sur une plaque de verre qu’on prend soin de rentrer avant la tombée de la nuit. On les réduit en poudre et on ajoute l’équivalent d’une noix de muscade râpée; deux parties verre à porto avec deux jaunes d’oeufs battus et du citron. Les effets en seraient extraordinaire Si la femme est fécondée, elle ne peur avoir que des jumeaux qui seront bien constitués malgré un risque de naître avant terme. il existe également différente méthode pour prolonger les effets afin de satisfaire douze à quinze partenaires.
Monsieur veut la puissance du taureau !
Une autre recette consiste à récupérer des testicules de taureaux. La veille de Pâques, les testicules sont décrochés, attendris et mis au four à feu doux jusqu’à deux heurs du matin. Il faut ensuite faire bénir le tout par un prêtre le dimanche de Pâques -symbole de résurrection- puis on attend l’ascension- symbole de tout ce qui monte- pour les manger avec du fruit à pain et du cœur de poisson.
Il y eut en 1935, au moment de Tricentenaire et des fêtes qui l’accompagnèrent, un incident qui fit quelques bruits et dont les dessous ne purent être élucidés sur le moment. L’un des plus beaux taureaux du concours agricole, une bête magnifique primée hors concours, et dont le consul d’une République voisine négociait, dit-on, l’achat, fut retrouvé tout sanglant dans la savane où il pâturait, et privé de ses attributs.
L’enquête ne donna rien. L’auteur du méfait ne fut jamais retrouvé; car il habitait à l’autre extrémité de l’île. Ses voisins remarquèrent seulement, à l’époque, qu’il fréquentait l’église de manière assidue et qu’il communiait fréquemment. Le vieux curé de la paroisse se félicitait de ce magnifique renouveau de piété. Puis un bon matin, notre homme se présenta devant le prêtre pour lui demander de bénir le missel qu’il venait d’acheter.
Satisfaction obtenue, il part radieux, rencontre un ami cher et l’entraîne chez lui : le missel n’était qu’un petit coffret de bois, malgré la croix qui l’authentifiait. A l’intérieur, noirâtre et pestilentiel, le testicule du taureau primé. Et c’est grâce à camarade bavard, que l’histoire a pu être élucidée.
Les autres aphrodisiaques
Les aphrodisiaques abondent à la Martinique dont quelques-uns réputés. C’est ainsi qu’il existait naguère sur la route de la Trace; à peu de distance de Fonds-Saint-Denis, un arbre dont les fruits étaient réservés à un grand propriétaire du Nord, qui les envoyait cueillir chaque année, tant il leur trouvait de rajeunissantes et mirobolantes vertus. Cet arbre fut coupé lors de l’élargissement de la route, mais poussa des rejetons dans une savane proche.
Un autre fut transplanté au Morne Rouge. Ce sont les graines qui sont efficaces, remarquablement efficaces. Selon radio bois patate, des très hauts personnages en essayèrent les vertus au moment du Tricentenaire (1935).
Il était de tradition, dans certains mornes, d’aller réclamer au quimboiseur du lieu, avant de se marier, un remède pour ne pas tomber en panne. Les larves de guêpes, le crevin (couvain), passent dans ce cas pour avoir des vertus particulières : » ça revigore ». Mais il est déjà arrivé plus d’une fois que la dose ait été mal calculée ou que le client, pour plus de sûreté, l’ait dépassé.
Dans les hauteurs du Lorrain, on fabrique un aphrodisiaque à base de plantes du pays et d’holoturies qui a déjà expédié à l’hôpital, voire en France, plus d’un jeune.
Nous connaissons également l’élixir au bois bandé et noix de kola qui revigorait nos hommes.
Pour illustrer cette partie, je vous propose un conte espiègle sur le bijou sacré de l’homme : Le viatique du grand coqueur. Yékrik !
Koké peut engendrer des enfants
Une crime passé sous silence qui sévit dans notre société : l’abandon paternelle. Suivant le même schéma de l’habitation, l’homme est un étalon qui sème partout sur son passage sans se retourner. De ce fait, l’éducation des enfants revient à exclusivement à la mère. Pas à l’homme car il n’a pas le temps !
J’étais la seule personne dehors, devant l’école, pour l’ouragan Louis. Tout le monde était venu chercher ses enfants sauf mon père. Quelqu’un m’a reconnu et m’a déposé. J’avais 12 ans.
Mon père habite dans le même quartier que moi, mais il n’a jamais voulu me reconnaître ni me parler. Mes frères et sœurs issus de son mariage m’ignorent.
Difficile de décrire la figure du père abandonneur. On le retrouve dans toutes les catégories sociales, dans toutes les tranches d’âge, dans toutes les confessions religieuses, chez les athées ou chez les agnostiques. Il est célibataire ou marié. Il vit en très grande majorité en couple. Il peut exercer ou non des violences à l’encontre de sa compagne ou de de ses enfants.
Ma mère repassait tristement les chemises de mon père pour qu’il aille danser et draguer d’autres femmes.
L’abandon de l’enfant peut être direct ou sournois. Il n’existe pas de scénario familial qui soit le plus exposé à l’abandon que d’autres. Aucun des scenario existants n’est à l’abri. L’irresponsabilité paternelle semble être un héritage car des histoires d’abandon se déroulent dans une même famille sur plusieurs générations. L’abandon ne touche pas que les enfants illégitimes. Elle ne concerne pas non plus uniquement les enfants qui ne vivent pas au domicile du père.
Il faut lutter pour sortir de ce mal-être fabriqué par l’esclavage négrier. Ce combat est d’autant plus pertinent au sein de notre société anciennement esclavisée. Car, deux instances y sont construit un masculin complexe. Le catholicisme et ses mythes ont fait l’homme un être supérieur à la femme et tout-puissant tandis que le système de l’habitation l’a infériorisé face à la femme.
Il s’en suit une sorte de schizophrénie qui crée l’incertitude de la masculinité. Le résultat est que nos hommes éprouvent le besoin de démontrer constamment qu’ils sont « hommes ». Et cela se traduit par des comportements qui nuisent aux femmes et aux enfants. Il n’y a qu’à voir comment les parties génitales de l’homme constituent la partie la plus précieuse de leur existence.
Ce phénomène accentue malheureusement la charge poto-mitan sur le dos de la femme. Que le père aide ou pas, la mère et sa famille ne laisseront jamais tombé les enfants. Elle va essayer tant bien que mal de compenser en jouant sur plusieurs tableaux, hélas elle ne pourra jamais effacer cet abandon. Bien évidemment, il ne faut pas oublier de souligner qu’il y a des femmes soutireuses dans cette bêtise.
Par exemple, les mères qui ne foutent pas une bonne gifle à leur fils afin qu’il assume ses responsabilités. Et qui compensent en s’occupant de ses petits-enfants sans pour autant remettre en question l’attitude du fils. Les mères qui éduquent leur fils comme des rois, celui qui est au dessus de tout et qui mérite une femme ménagère. Ou les épouses qui ne veulent pas que les enfants de leur époux viennent dans son foyer. Celles qui vivent leur vie en croyant fermement que tout ce qui s’est passé avant leur union n’a aucune importance. Oui, ces femmes sont complice de ce crime qui rongent notre société.
Conclusion
Il est temps de dialoguer, transmettre, analyser pour casser une bonne fois pour toute nos traumatismes du passé. Il ne faut plus se contenter d’apprendre quelque dates et évènement lors de la traite négrière, il faut creuser, dénouer même si cela nous fait mal, nous dérange. Il faut revaloriser la figure paternelle dans notre société, tout comme il ne faut ne plus accabler la femme. Elle ne doit pas être exclusivement le poto-mitan ! Cette charge familiale doit être partagée équitablement dans notre société antillaise. Car il ne faut pas oublier que nos aïeuls provenaient en majorités de société matriarcale. Et n’allez pas croire, que dans ce genre de société c’était l’homme la ménagère, etc. Piès pa ! L’homme tout comme la femme avaient les mêmes droits. Et il n’avait aucune honte de vénérer celle qui lui offrait sa robuste descendance.
Pour cela, l’homme devra réapprendre à aimer pleinement la femme caribéenne sans se baser sur les préceptes de la société occidentale. Tandis que la femme devra faire de la place à son partenaire et arrêter de penser qu’elle doit tout porter sur son large dos, hanhan !
Certes nous sommes français mais dans notre vie quotidienne et dans notre cœur, nous sommes et resterons toujours attaché aux valeurs de notre terre ancestrales. Battons nous pour notre glorieux héritage en brisant la méchanceté du Dieu canne.
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