Koté lonbilik-ou téré ? Décryptage d’une pratique ancestrale oubliée
Antan lontan, lorsque le cordon ombilical du nourrisson tombait, la famille l’enterrait sur un lieu choisi du terrain familial. Puis ils plantaient un jeune arbre dessus. Ce rituel conférait au nourrisson un jumeau végétal, un point d’ancrage. C’est pour cela que nos aïeux demandaient “koté lonbilik-ou téré ?” aux inconnus. En effet, le lieu où le nombril était enterré représentait son fief, sa commune de naissance, etc.
Chacun était donc repérable grâce à la localisation de son jumeau végétal.
J’ai travaillé à la mairie dans les années 40, j’aidais les gens à faire leurs démarches. Entre “mon lonbilik est enterré sous le corossolier près de la rivière machin” ou “je suis née deux saisons mango après tel cyclone”, bondié ! J’ai eu des fous rire avec eux tandis que les blancs de fwans ne comprenaient hak !
Anisette – 98 ans – Martinique
Cette pratique ancestrale est révélateur de nos origines Kongo. Pour eux, l’arbre jumeau est le point d’ancrage du nourrisson à la terre mais surtout sa géolocalisation par rapport à l’Univers. C’est le point par lequel le divin le connaît.
Il existe dans les sociétés traditionnelles africaines une forme d’ordalie qui mobilise un objet sacré appelé nkisi. C’est cet objet, que les européens appellent péjorativement fétiche. Installé au cœur du village, il est le référent de la communauté pour les questions relatives à la justice. C’est celui qui voit et agit dans l’invisible. Il ne se trompe jamais lors des jugements.
Parce que le nsiki connaît le ki, c’est a dire l’essence ontologique de chaque membre de sa communauté qui le vénère par le biais du jumeau végétal. En effet, il peut te démasquer dans le monde visible et invisible. Le nsiki conduit donc la civilisation à l’éthique, à l’intégrité, à la responsabilité.
Malheur à celui dont la parole ne serait pas en harmonie avec ses actes. Ainsi donc le vol dans notre société est une pratique récente imposé par la colonisation.
Pendant longtemps, la Martinique s’était vantée de l’inexistence d’un milieu peuplé d’individus sans foi ni loi. Le crime crapuleux, à cette époque, était inconnu (…) Epoque bénie où chacun cultivait le respect de la propriété d’autrui, où l’automobiliste ne songeait même pas à bloquer les portières de son véhicule (…)
Aucun propriétaire de maison ne songeait à barricader portes et fenêtres. Et puis, la civilisation était arrivée, désormais Paris et ses modes culinaires, capillaires, vestimentaires et autres, proposait, suggérait, imposait.
« Sauve qui peut à Schoelcher » Tony Deslcham
Vols, meurtres, etc tout ceci n’est pas notre modèle sociétal ! Malgré la violence de la traite négrière, nous avions gardé le respect pour autrui.
Ne pouvant plus ériger de jumeau végétal, les nouvelles générations se retrouvent sans point d’ancrage. Pour certains, ils partent et ne reviennent plus…
Source : Sagesses oubliées de la langue dite créole de Djolo
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