crâne

Le culte du crâne en Afrique et aux Antilles


Le crâne, siège de la pensée et donc du commandement suprême est le chef des quatre centres, par lesquels les Bambara résument leur représentation macrocosmique de l’Homme; les trois autres centres étant situés à la base du sternum, au nombril et au sexe.
Sur les autels de la société initiatique Koré( le peuple Bamana), quatre porteries, pleines d’eau céleste, recueillie à la première et à la dernière pluie de l’année, figurent ces quatre points; la poterie centrale, représentant le crane, contient quatre pierres de tonner qui matérialisent le feu céleste, expression de l’esprit et de l’intelligence de Dieu, et son avatar microcosmique, le cerveau humain, forme de l’œuf cosmique et comme lui matrice de la connaissance.

En Afrique, le culte du crâne est considéré comme de la sorcellerie ou le diable. Tandis qu’au Vatican ou à la Mecque, c’est la sainteté ou le saint esprit. La divination des crânes est une pratique ancestrale chez les Koma, peuple du nord Cameroun qui participe à la cohésion sociale de leur communauté. Ce rite maintient le contact avec leurs ancêtres. La divination des crânes humains est une pratique bien répandue en Afrique. De nombreux peuples africains qui ont partagé un passé commun avec l’Egypte antique, ont maintenu ce rite dans leurs mœurs.
Au Cameroun, la divination des crânes humains est pratiquée par les peuples de l’Ouest du Cameroun (en l’occurrence les Bamilékés et les Bamoun) et une minorité dans la partie septentrionale, les Koma, chacun avec sa particularité dans l’exercice de ce rite.

Le culte des crânes chez les Koma

Chez les Koma au Cameroun, le processus d’exhumation et de conservation d’un crâne humain passe tout abord par plusieurs étapes effectuées en amont avant d’enterrer le mort. Tout commence par la phase de préparation du corps, cette étape est laissée au soin de l’héritier qui se charge de fermer tous les orifices du corps pour éviter un éventuel écoulement du sang et de la salive avec une sorte de fibre naturelle qu’on surnomme le kapock. C’est un produit naturel qui est extrait d’un arbre appelé le kapotier ou encore arbre à coton.

Village of Koma tribe people – 28-02-2014 Alantika mountain. Cameroon

Après le bain mortuaire, le corps est soumis à plusieurs séances de prières afin de préparer l’esprit du défunt à être reçu vers l’au-delà. A la fin de cette procession, le corps est emballé avec plusieurs bandes de tissus blancs en coton. Cet habillage qui rappelle sans doute celui des momies égyptiennes a pour rôle de faciliter la séparation du crâne avec le reste du corps.
Ce détail est très important chez les Koma qui tiennent absolument à ce que cette séparation se fasse naturellement. C’est la raison pour laquelle, lors de l’enterrement le corps du défunt est positionné de manière verticale dans la tombe, et la tête est maintenue en suspension sur les bois fourchus qui sont positionnés dans la sépulture. Le but étant de récupérer la tête une fois le processus de décomposition terminée.

Les veuves ou les veufs sont soumis à leur tour à un rituel surnommé « attacher la corde » après l’enterrement. Il consiste à les nouer une ficelle autour du cou, pour qu’ils se rappellent de la personne disparue et ne pas se livrer à la débauche sexuelle.
Chez les Koma on estime que, après la mort, il existerait une activité sexuelle qui lie les couples. Si le veuf ou la veuve viendrait à rompre ce lien brusquement avant la fin des rites de veuvage, son amant(e) en mourait. Ils doivent attendre le rite dit de « l’oubli » qui marque la fin du veuvage avant de retirer la ficelle. Celui-ci coïncide aussi avec la séparation de la tête du reste du corps dans la tombe.

Cette période marque la fin de tout engagement qui liait les veufs ou les veuves avec le défunt, et c’est aussi la fin du statut d’esprit errant du défunt. La période idoine pour l’exhumation d’un crâne prend environ trois ans chez les Koma. Lors du rituel, le crâne est soigneusement nettoyé pour éviter qu’il ait les résidus de chair dessus. Par la suite, on répand de la bière sur le crâne avant de l’arroser d’huile et d’ocre rouge.
Lorsque toutes les cérémonies qui accompagnent l’exhumation sont terminées, le crâne est déposé sous un abri rocheux. L’exhumation d’un crâne est un acte divinatoire chez les Koma, c’est la raison pour laquelle, la réussite de ce rite est conditionnée par l’apparition d’une araignée.

Cette araignée symbolise la réincarnation du défunt vers une nouvelle vie. Chez les Koma tout le monde peut prétendre au statut d’ancêtre, c’est la raison pour laquelle chaque individu qui décède bénéficie des éloges de sa communauté. A l’approche des grandes campagnes agraires ou pour tout autre besoin qui concerne le bien-être des populations, les Koma vont demander la bénédiction de leurs ancêtres. Au cours de cette cérémonie, les crânes sont enduits de la bouillie de mil, ce moment de réjouissance donne lieu à une grande consommation de bière de mil, et chaque invité avant de boire, verse une petite quantité au sol pour rendre hommage aux crânes.

Peut on y voir un lien avec notre rituel aux Antilles où il est coutume de renverser à terre le rhum avant de le boire?

Conclusion

Le culte des crânes pose la question du statut du corps du défunt et en particulier celui du crâne. Le geste très symbolique de la décapitation post mortem témoigne de la dimension fortement eschatologique de ce culte. Comme le dit Tamoufe Simo : « La construction d’un espace et d’un statut social pour le corps dans le contexte mortuaire interroge la place des défunts dans les représentations collectives . » En Afrique, le défunt ne peut pas rester éternellement mort. Il réclame son retour auprès de sa descendance.

Le crâne n’est pas une relique commémorative qui servirait à entretenir le souvenir d’un défunt mais le « siège » d’un principe vivant : l’esprit du défunt. Il est la totalité, le corps, de nouveau vivant, d’un disparu devenu ancêtre et, désormais, atemporellement présent.
Le processus d’ancestralisation et les rituels qui lui sont liés s’inscrivent dans le schéma des doubles funérailles qui vont de l’enterrement du cadavre du défunt, corps corruptible, à l’exhumation et au recueil du seul crâne, siège de l’esprit. Ces funérailles organisent une véritable résurrection du mort en ancêtre, entité vivante parmi les vivants.

La mort aux Antilles

Les crânes entrent dans les pratiques de sorcellerie. Ainsi, le 15 novembre 1967, découvre-t-on dans un jardin de Trinité à la Martinique six crânes sciés. Selon le journal France Antilles qui relate les faits:

Pour ce qui est du procédé des crânes, on pense que c’est une vieille coutume d’Afrique transportés par les esclaves puis transformée au fil des âges par mèches allumées. Certains amateurs de pitt faisaient picorer leurs coqs dans ces ustensiles macabres. Certains sorciers s’en servent comme auge. D’autre l’utilisent pour gagner au jeu.

Le rêve et la mort

Un extrait de l’enquête éthno-religieuse de Raphaël Confiant au cimetière de Basse-Pointe

Dans son appentis, Bati (fossoyeur) s’endormait fréquemment aux heures chaudes de l’après-midi, et c’est à ces instants-là que les morts entraient en communication avec lui. Jamais quand il était éveillé. Cette relation du rêve et de la mort remonte aux plus anciens temps de l’humanité. Dans l’épopée de Gilgamèsh, qui date de 35 siècles avant notre ère, le roi Enkidu rêvait de sa propre mort.

Cette relation est due au fait que, comme l’explique Dominique Zahan (1963) pour les Bambaras:

Le sommeil est considéré comme un voyage provisoire. Il est le “frère” de la mort qui est le plus grand voyage…

Les morts apparaissent aux vivants dans leurs rêves, soit pour leur faire des reproches ou les menacer, soit plus rarement pour leur donner des conseils. Il ne s’agit pas de n’importe quel décédé mais de ceux pour qui les funérailles ou l’inhumation n’ont pas été accomplies dans les règles ou qui ont perdu la vie de manière cruelle ou prématurée (femme en couches, bébé non encore baptisé, etc.). A notre question:

Kidonk an mounmô ka kontinyé viv an sèten mannyè kanmenm?
(Donc, d’une certaine façon, un mort continue à vivre?)

Bati nous répondit:

I ka kontinyé viv ann èspri. Sé toujou ann èspri… padavwè lè ou ka wè mounmô-a sé an sonj ou ka wè’y.
(Il continue à vivre par l’esprit. Toujours par l’esprit… parce que quand on voit un mort, c’est en rêve que ça se passe.)

Les apparitions

Il semble toutefois que dans la culture créole martiniquaise, il y ait au moins deux types d’apparitions de morts dans les rêves:

Les morts qui se révèlent en priorité à ceux qui les sollicitent, en particulier aux possesseurs de crânes (et d’autres parties du squelette prélevés dans les cimetières), individus spécialisés dans la pratique du quimbois.
Qui veut acquérir un crâne doit obligatoirement passer par un fossoyeur, lequel le négocie chèrement: entre 40 et 50 000 francs au moment de notre enquête, soit dix fois le SMIC (Salaire minimum interprofessionnel de croissance) mensuel.

Un os du bras ou de la jambe se vendait autour de 30 000 francs et un clou de cercueil autour de 20 000.
L’acquéreur du crâne vivra dans l’anxiété permanente car le mort ne cessera de le tourmenter pendant son sommeil, comme nous l’indique Bati:

Question:
Men moun-lan éti ou pwan tèt li a, mounmô-a, i pa ka jenmen viré kont ou an jou? Difèt ou tiré’y adan sèrtjèz li? I pa ka mandé’w an pèman an jou, an réparasyon?
(Mais le mort dont on a pris la tête, il ne se retourne jamais contre vous un jour? Il ne se révolte pas du fait qu’on l’a ôté de son ? Il ne vous demande pas réparation un jour?)

Bati:
I pa ka
 mandé’w pèman. Mounmô-a ou tiré a pa ka mandé’w pèman. Men moun-lan ki ka sèvi di’y la, i ka toumanté’y. Sé li ki toumanté.
(Il ne demande pas réparation. Mais celui qui se sert de son crâne, il le tourmente.)

C’est pour cela que dans l’imaginaire magico-religieux de la société créole, il faut être fort psychiquement pour détenir un crâne. En effet, le mort qui n’est pas l’aïeul du détenteur va essayer de le tourmenter car il répugne à service quelqu’un qui n’est pas de sa descendance.

Et les sorciers qui réussissent à dompter l’esprit de crâne peut détenir les 90 pouvoirs des morts…

Pour approfondir les mystères de la mort en terre créole, vous pouvez lire : Parole d’un fossoyeur en terre créole et lire également le culte des crânes chez les Bamiléké de l’ouest du Cameroun de Roger Kuipou.

Un bref aperçu du culte dans les autres civilisations

Dans de nombreuses légendes européennes et asiatiques, le crâne humain est considéré comme un homologue de la voûte céleste. Ainsi dans le Grimnismâl islandais, le crâne du géant Ymir devient à sa mort la voûte du ciel ; de même, selon le Rig-Veda, la voûte céleste est-elle formée du crâne de l’être primordial établit justement un parallèle entre la valorisation de la verticalité sur les plans du macrocosme social (les archétypes monarchiques), du macrocosme naturel (sacralisation des montagnes et du ciel), et du macrocosme humain ; ce qui explique aussi bien les innombrables formes du culte des crânes (crânes des ancêtres ou crânes trophées) que les analogies cosmogénétiques, ci-dessus mentionnées. De la même loi d’analogie entre le microcosme humain et le macrocosme naturel procèdent les assimilations des yeux aux luminaires célestes et du cerveau aux nuages du ciel.

Le culte du crâne n’est pas limité à l’espèce humaine. Parmi les peuples de chasseurs, les trophées animaux jouent un rôle rituel important, qui est lié à la fois à l’affirmation de la supériorité humaine, attestée par la présence au village d’un crâne de grand gibier, et au souci de préservation de la vie : le crâne est en effet le sommet du squelette, lequel constitue ce qu’il y a d’impérissable dans le corps, donc une âme. On s’approprie ainsi son énergie vitale.

On raconte que les Gaulois cisalpins qui, en 216 av. J.-C., avaient surpris et détruit dans une embuscade l’armée du consul romain Postumius, emportèrent les dépouilles et la tête coupée de ce magistrat en grande pompe. Son crâne, orné d’un cercle d’or, leur servit de vase sacré pour offrir des libations dans les fêtes.
Ce fut aussi la coupe des pontifes et des prêtres du temple et, aux yeux des Gaulois, la proie ne fui pas moindre que la victoire. Le symbolisme du crâne rejoint celui de la tête, considérée comme trophée guerrier, et celui de la coupe.
Il faut mentionner aussi les crânes des sanctuaires celtiques du sud de la Gaule : Entremont, la Roquepertuse et Glanum (Saint-Rémy-de-Provence), qui étaient accrochés à des entailles céphaliformes. Une salle des crânes existait à Entremont.

Avec sa situation au sommet de la tête, sa forme de coupole, sa fonction de centre spirituel, le crâne est souvent comparé au ciel du corps humain. Il est considéré comme le siège de la force vitale du corps et de l’esprit… En tranchant la tête du cadavre… en conservant le crâne par-devers lui… le Primitif a atteint plusieurs buts : d’abord celui de posséder le souvenir le plus direct, le plus personnel du défunt, puis celui de s’approprier sa force vitale el ses effets bienfaisants pour le survivant.
En accumulant les crânes, ce soutien spirituel prend de l’ampleur… De là, ces monticules de crânes découverts par certaines fouilles. De là aussi, l’utilisation du crâne, réceptacle de la vie à son haut niveau par les alchimistes dans leurs opérations de transmutation.

Dans la franc-maçonnerie, il symbolise le cycle initiatique : la mort corporelle prélude de la renaissance à un niveau de vie supérieur et condition du règne de l’esprit. Le symbole de la mort physique, le crâne, est l’analogue de la putréfaction alchimique, comme le tombeau est celui de l’athanor : l’homme nouveau sort du creuset où le vieil homme s’anéantit pour se transformer.
Le crâne est souvent représenté entre deux tibias croisés en X, formant une croix de saint André, symbole de l’écartèlement de la nature sous l’influence prédominante de l’esprit et, en conséquence, symbole de perfection spirituelle.

Sources:
Savoir et pouvoir des morts, Paroles d’un fossoyeur en terre créole de Raphaël Confiant
La Jarre d’Or de Raphaël Confiant
-Le culte des crânes chez le Bamiléké de Roger Kuipou
-Dictionnaire des symboles de Jean chevalier et Alain Gheerbrant
-Facebook Sobel Dione


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Un ancêtre est un défunt qui a eu les rites funéraires nécessaires pour accéder à l`ancestralité. Il est comme une étoile autonome qui va agir en retour pour le bien et la prospérité de sa descendance. Mais si ses yich ka foutè fè, rien ne l`oblige à agir. Surtout si sa descendance ne le capte même plus.

De ce fait, il va boire son petit thé d`atoumo et manger ses pop-corn en regardant la télénovela de notre vie. Tôt ou tard, an piti ké vini rélé`y...donc il patiente.

N`oubliez pas un ancêtre est autonome, i pa bizwen`w ankò pou fè zafè`y. Mais par compassion suite à la rupture de la transmission familiale pendant de nombreux siècles, i toujou ka fè dé twa bagay an soumsoum pou ba`w fòs-la. Dèlè zot ka di sé bondié...zansèt ka toufé mé yo ka fè`y.

Mais attention lorsque la conjecture est favorable pour la reconnaissance qu`ils méritent et qu`ils ne l`ont pas pour x raisons, alors là lè zot ké pliché yo pé ké vini rilévè`w ankò.

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