la veillée

Les veillées mortuaires, lieux privilégiés des timtim


La veillée mortuaire fut le lieu privilégié de profération des devinettes et des jeux de mots. Ces derniers servaient, en effet, d’introduction aux contes , le conteur antillais ouvrant la séance par un retentissant : « Titim ? »

Formule énigmatique à laquelle l’assemblée répondait par un nom moins énigmatique : « Bwa sèk ! » (Bois sec!)
Souvent, cette question et cette réponse étaient répétées plusieurs fois d’affilée avant que le conteur ne pose la première devinette, sans doute dans le but de créer une atmosphère propice à l’expression d’une parole qui interrompait le deuil, une parole ludique qui se gaussait de la mort (et parfois du mort lui-même).

En Guyane, selon Auxence Contout (1987), les formules sont quelque peu différentes :

« Les massaks sont nos devinettes créoles. Le conteur qui pose les devinettes demande toujours l’autorisation à son auditoire en criant : Massak-Massak ? Si l’auditoire accepte, il répond : Kam !. D’autres conteurs demandent : Kini-Kini ? Et l’auditoire autorise en répondant : Boi sèk ! »

A la Réunion, le conteur commence toujours par Kosa en soz ? Au cours des observations que nous avons pu faire en 1982 et 84, à Morne-des-Esses (Commune de Sainte-Marie, Martinique) et à La Carrière (commune du Vauclin, Martinique), nous nous sommes rendus compte que les devinettes qui ouvraient les veillées n’avaient qu’une fonction rituelle. C’étaient toujours les mêmes et surtout elles étaient les plus simples, celles auxquelles l’assemblée des veilleurs pouvait répondre en chœur. Par exemple :
– Dlo monté mòn ? (Eau qui grimpe la colline ?)
Koko ! (Noix de coco)

– Dlo désann mòn ? (Eau qui descend la colline ?)
Kann ! (Canne à sucre)

En fait, la plupart du temps, le conteur n’attend pas la réponse à ces devinettes et passe soit la récitation d’un conte soit, ce qui est moins fréquent, à d’autres devinettes plus compliquées. En Anjou, A. J. Verrier et R. Ornillon (rééd. 1970) notent la même attitude :

« Le jeu débute toujours par la formule consacrée : « Devine, devinaille Qui pond sur la paille ? Puis, sans attendre une réponse trop facile , on passe à quelqu’une des énigmes suivantes…»

Et dans l’Océan Indien, à Maurice, Charles Baissac (rééd. 1970) remarquait en 1885 : « Sirandane ? disait le vieillard. Sampèque, répondaient les petits tout d’une voix, et le jeu commençait. D’abord, une série de questions,invariablement les mêmes , et les réponses suivaient à l’instant :

Dileau diboute ? Canne.
Dileau en pendant ? Coco.
Piti bat manman ? Laklos etc…»

Au cours des veillées mortuaires auxquelles nous avons participé, nous n’avons vu qu’une seule fois un conteur interloquer l’assistance en posant d’emblée une devinette difficile, ce qui provoqua une gêne et faillit gâcher la cérémonie, n’eut été l’arrivée d’un participant qui connaissait la réponse. Renseignements pris, il nous fut confié qu’il s’agissait là d’une sorte de vengeance exercée par le conteur en question à l’endroit des gens du quartier (Savane Romanette, à Morne-des-Esses) lesquels, au cours d’une veillée précédente, lui avait préféré un autre conteur venu de très loin.

Un point qui a retenu notre attention, c’est le fait que l’énoncé de la devinette n’était jamais à la forme interrogative mais toujours à la forme affirmative. Le conteur dit :- Nas anba dlo ! et non Nas anba dlo ? Cela se retrouve aussi en Afrique nous révèle G. Meyer (1978 : 6) :

On peut considérer cela comme une volonté de la part du conteur de défier cet « adversaire» qu’est le public des répondeurs. La devinette posée sur un ton affirmatif réaffirme que le conteur dispose d’un savoir dont il est le seul maître et surtout pour laquelle il n’accepte qu’une seule et unique réponse. Un ton interrogatif installerait une sorte d’égalité entre conteur et répondeur et surtout ouvrirait la voie à une pluralité de réponses, chose difficilement compatible avec l’autoritarisme régnant dans des sociétés rurales, qu’elles soient du Nouveau ou de l’Ancien Monde.

Normalement, les devinettes d’ouverture ont donc une fonction rituelle, les vraies énigmes, celles qui obligent l’assistance non plus à communier mais à, chacun pour soi, essayer de trouver une réponse, sont lancées à intervalles réguliers, tout au long de la veillée, entrecoupant ainsi la récitation des contes.
Lorsque personne dans l’assistance ne trouve la réponse, le conteur la répète à plusieurs reprises en prenant à chaque reprise une voix de plus en plus chantée et moqueuse. S’il y a des réponses erronées, il tourne en dérision le ou les « répondeur (s) » en cause ou, plus rarement, les insulte, là encore de manière rituelle.

A la Réunion nous dit Patrice, Treuthardt (1991 : 90) :

« On raille celui qui cherche trop longtemps par cette formule : « Devin devinay ! ou né lé dan la tay » (Devine devinette ! Ton nez dans la merde) »

Toutefois, il peut arriver que certains conteurs en profitent pour régler des comptes personnels avec des gens de leur quartier ou de bourgs voisins. Dans ce cas, ils peuvent modifier légèrement la formulation de telle devinette ou de tel jeu de mot de manière à viser un individu précis. Ou il leur arrive aussi d’en inventer de toutes pièces et, l’assistance étant prise en défaut, de donner eux-mêmes la réponse, égratignant au passage, de manière toujours masquée, celui auquel ils en veulent.

Cet aspect de la profération des devinettes, nous rappelle que l’oraliture, loin d’être un ensemble de formules et de textes définitivement figés que le conteur se contenterait de répéter à l’infini, fut très longtemps (jusqu’à la fin des années 70 du XXè siècle) quelque chose de vivant, de malléable, d’imprévisible même parfois. A chaque profération, le conteur ne transmettait pas simplement une parole séculaire, il la recréait, la réinventait, y apportant sa touche personnelle ou se laissant aller à son humeur du moment.

Mais ce còté non-figé de l’oraliture à sa contrepartie négative : autant certains de ses éléments sont vivants (et même vivaces), autant d’autres dépérissent jusqu’à disparaître à tout jamais. Ou bien leur sens devient totalement obscur. Ainsi, aucun des vieux conteurs martiniquais que nous avons pu interroger ne connaissait la signification du mot gani dans le titim :– Gani gani pwend kouti ? An mayi.

De même, nous demeurera à jamais incompréhensible (puisque le créole trinidadien est moribond), cette devinette du pays de John Jacob Thomas à l’intitulé si poétique :
– Si pa té pou pen panèt, vini vinèt, té ké manjé dòmi donnèt ? Si pa té pou yon kowosòl, tij-la té ké manjé kochon..

Ainsi donc, autant la réponse aux devinettes d’ouverture est collective, autant celles des vraies énigmes, lancées au beau mitan de la veillée, est individuelle.
C’est un spectacle assez fascinant que d’entendre fuser les réponses de la bouche d’hommes, de femmes, d’enfants ou de vieillards, de voir le conteur virevolter et se tourner vers chaque répondeur pour lui rabattre le caquet et le traiter de « couillon » à chaque réponse erronée.

Lorsqu’une énigme n’était pas résolue, le conteur n’avait pas l’obligation (d’après nos observations en tout cas) de donner la réponse à l’assistance, même s’il le faisait le plus souvent. Il nous a été donné de constater (en 1984) que le même titim insoluble fut posé dans trois veillées successives, sur une période de quatre-cinq mois, par le même conteur, devant à peu près la même assistance dans les quartiers limitrophes de Fonds des Basses et Pérou (commune du Marin, Martinique) et Beaujolais (commune du Vauclin, Martinique).

Le conteur ne livra la solution à une assemblée, de plus en plus démangée par l’envie de savoir, qu’à la dernière veillée. Entre temps, bouch té ka bat (Lit. les bouches battaient) c’est-à-dire que les hypothèses avaient succédé aux hypothèses, cela en dehors du cadre de la veillée, reliant ainsi la profération de l’oraliture au monde de tous les jours, l’univers de la nuit à celui du jour. Enfin, si tout un chacun peut constater que la profération des devinettes créoles précèdent celle des contes, nul ne s’est encore demandé si les premières entretenaient un quelconque rapport (thématique ou autre).

Source:
-Dictionnaire des timtim et sirandanes (Devinettes et jeux de mots du monde créole) de Raphaël Confiant


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