La légende des ravèt légliz
Pour ceux et celles qui fréquentaient assidument les bancs de l’église sous la menace maternelle. Pour ceux et celles qui subissaient la messe qui pouvait s’éterniser pendant plus de deux heures. Pour ceux et celles dont les fesses picotaient sur le banc en bois aussi raide que le dos de Mr le curé et qui étaient étroitement surveillés par la suprême ravèt légliz, cette histoire saura vous contenter.
Yékrik !
Je vais vous conter une époque où les ravèt légliz n’existaient pas encore. Oui ! Vous ne rêvez pas ! Une époque où tu pouvais chuchoter à ton camarade pendant l’office sans que ravèt légliz te dénonce à ton instructrice de catéchisme. Tu pouvais y aller avec une jupe légèrement au-dessus de ton genou sans courber l’échine face à son regard courroucé. Et pour finir tu pouvais te confesser sans retenu sans qu’elle ne rôde dans les parages à l’affut pour alimenter la grande congrégation des ravèt légliz. Enfin, une époque sans notre authentique emblème national.
YéKrak !
Nous étions en 1948, la population martiniquaise était en ébullition, c’était le retour de la Grande Vierge. Une imposante statue sacrée de la mère secourable qui venait spécialement de métropole pour bénir ses enfants de la colonie. Tout le monde était excité par l’arrivée prochaine de cette grande madone car elle pouvait exaucer toutes les prières.
De ce fait, les mamans commençaient à compter leurs maigres économies pour acheter de belles tenues pour sa marmaille afin qu’ils soient beaux pour supplier son aide. D’autres commençaient des jeuns et des neuvaines afin d’être aussi pure que leur robe de communion. Tandis que certains faisaient l’inventaire de leurs petits biens afin de les offrir à l’église. En espérant que la madone miraculeuse soit plus encline à les écouter.
Ces pauvres gens ne demandaient pourtant pas grand-chose, juste de la nourriture sur la table. Un peu d’argent pour payer des études à leurs enfants. Que le cœur du béké s’adoucisse afin de ne pas accabler le nègre dans les usines et champ de canne. La guérison d’une petite maladie, ou que l’enfant de la voisine ne soit pas l’enfant de ton époux. Bref, des prières pour que la déveine depuis le temps de l’esclavage ne s’abatte plus sur le nègre. D’ailleurs Philomène, une brave femme de Texaco avait compris depuis bien
longtemps que le BonDieu et son ciel en avait cure des affaires des nègres. Il n’avait pas bronché lorsque ses aïeuls furent arrachés de leurs terres pour être vendus comme de vulgaires esclaves. Et il n’avait pas non plus bronché lors des différents cyclones sans manman ni papa qui emportaient nos pauvres cases. Bien évidemment la liste était longue, et Dieu seul sait qu’elle avait prié nuit et jours. Hélas aucune réponse de la part du ciel, de ce fait, Philomène décida de ne plus jamais mettre les pieds dans une église.
Donc quand elle voyait ses voisines dépenser leurs maigres économies dans de nouvelles toilettes, elle ne put s’empêcher de leur dire que c’était vraiment une grande couillonade, tchip ! Au lieu de payer de nouveaux cahiers à leurs yich, elles achetaient des tissus en soie très chères. Pour après prier la Vierge Marie de bien vouloir aider leurs enfants à réussir à l’école. En effet, c’était le monde à l’envers pour Man Philomène.
Ne pouvant plus supporter cette agitation, elle décida de colporter sa façon de penser dans tout le quartier. Au début, ses voisins pensèrent qu’elle avait pactisé avec le diable pour tenir ce genre de propos outrageant. Ou pire, elle était devenue communiste. Heureusement, plus le temps passa plus les oreilles commencèrent à l’écouter et à acquiescer. Et cela inquiétait grandement l’archange Uriel car la parole de Philomène sillonnait de plus en plus les communes.
L’archange Uriel était mandaté par le BonDieu pour parcourir les îles afin de surveiller l’avancée du territoire du ciel. Et à force de s’y promener, il tomba dans les délices du rhum et des multitudes de femmes épicées qui pimentaient l’archipel. Alors si les martiniquais commençaient à se détourner de l’église, le BonDieu le sommerait de retourner au ciel. Donc adieu le Neisson, adieu Doris du Diamant, adieu Marguerite de Macouba, adieu Paula de St-Pierre, ou encore Anisette de Saint-Anne. Non, non, awa, l’archange Uriel ne pouvait pas se permettre de quitter toutes ses merveilles.
Le bougre commença à cogiter plusieurs jours durant dans le lolo de Man Chinotte afin de trouver un moyen de fermer le caquet de Man Philomène. Et c’est au bout du septième jour de réflexion que l’archange Uriel trouva une solution.
Cette entité du ciel ne pouvait pas s’abaisser à faire les mêmes choses que les mauvais esprits. De ce fait, il alla chez Gran Z’ongle, un quimboiseur de l’En Ville qui lui devait de nombreux services. Et oui, le nombre de fois où l’archange Uriel a sauvé ses fesses de sorcier face à la colère de Papa Diab. Enfin bref, après une longue conversation Gran Z’ongle accepta la besogne de l’entité du ciel.
C’est donc avec détermination, que le quimboiseur se planta devant Philomène sous le regard ébahis de l’assemblée qui l’encerclait. Tout le monde était tétanisé face aux pouvoirs du sorcier. En effet, il était de notoriété publique que la canne en pommeau d’argent du quimboiseur détenait de grands pouvoirs qui pouvaient vous transformer flap en n’importe quoi ! De ce fait, personne n’osa bouger de peur d’être transformé en poule ou pire en chien-fer.
Mais notre Philomène en avait cure de ce Gran Z’ongle : – Ki sa ou ka fè la ? Diab-la foutèw déwo ? éructa la bougresse. – Philomène à partir de ce jour, tu seras un ravèt. Et lorsque ton cœur aura fait la paix avec le ciel, seul quelques gouttes de l’eau du bénitier pourront te rendre ton apparence.
Aussitôt Gran Z’ongle transforma Philomène en ravèt en tapant trois fois la terre avec sa canne maléfique. Les gens hurlèrent de terreur et coururent dans tous les sens en pleurant de crainte d’être transformés aussi en ravèt. De tous les animaux, c’était le pire des châtiments ! Bondieu, Seigneur, les martiniquais furent traumatisés par la sorcellerie du quimboiseur. Tandis que notre Philomène ravèt, essayait tant bien que mal de survivre dans toute cette agitation.
Après avoir plusieurs fois faillit être écrasée par les gens qui étaient sur son passage, elle décida de demander pardon au Seigneur en se rendant à l’église de Terre-Saint-Ville. Elle pria humblement pendant plusieurs jours, et c’est lorsqu’elle vit une colombe blanche se poser sur le statut du Petit Jésus, elle sut qu’il était temps pour elle de boire l’eau du bénitier. C’est ainsi que Philomène retrouva son apparence de grande femme.
À partir de ce jour, notre Philomène créa la congrégation des ravèt l’égliz. Une assemblée de femmes qui sur leurs temps libres aidaient assidument Mr le curé à entretenir l’église. Elles nettoyaient, faisaient le catéchisme, veillaient à l’argent de la quête, participaient aux préparatifs des différentes célébrations, et bien d’autres choses.
Bien évidemment, Mr le curé était fort content de toute cette dévotion, et pouvait songer à prendre pour une fois quelques jours de vacances. Quant à l’archange Uriel, il reçut les éloges des autres archanges et même des Séraphins pour avoir sauvé le christianisme dans l’île de la Martinique.
Valérie RODNEY
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