Rat modé lajan
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Le béké Jacques de la Villardière était un homme anxieux, l’insomnie tombait chaque nuit sur lui. Depuis l’ouverture de l’enquête sur l’empoisonnement au chlordécone, il redoutait que son implication soit découverte.
La France voulant éviter une guerre civile avec ces nègres au sang chaud saucés à la sauce chien dépêcha rapidement des spécialistes pour établir un premier bilan. Aussitôt il s’était entretenu discrètement avec le préfet et le procureur de la Martinique.
-Tonnerre de Brest ! Ne croyez surtout pas que mes pouvoirs se limitent à la Caraïbe ! Je peux vous foutre dehors et vous muter dans un trou perdu !
-M. de le Villardière comprenez que la situation est délicate. Vous connaissez déjà le tempérament des martiniquais. Si j’agis pour vous protéger croyez-moi ils vont m’envoyer des mangos sur la tête et même me quimboiser, répondit Monsieur le préfet.
-Il faut aussi que vous sachiez qu’un certain Hyppolyte a une grande influence dans les loges de Paris, renchérit le procureur.
-Sa ki manman vié nèg ta-la hon !
-Aucune de mes connaissances veut se mouiller pour me dévoiler son identité. Ce Hyppolyte est un fervent militant anti-chlordécone et il est prêt à tailler votre communauté en pièce.
-Tjip ! C’est moi le gouverneur de cette île ! Qu’ils essayent donc an bonda manman yo !
M. de la Villardière bouillonnait de rage face à la lâcheté de ses compères. Quand toute cette affaire sera derrière lui, il fera en sorte de grijé leur bonda de vieux blancs de France. En attendant son équipe fit en sorte de contenir la population.
Il fit des promos sur le poulet, le champagne, le rhum, les voitures et les hôtels. Enfin bref des promos alé pou viré pour ceux qui avaient du caca dans les yeux. Heureusement la jeunesse était toujours debout pour réclamer la justice !
La déveine du nègre s’abattait sur lui, les autorités envisageaient de l’auditionner. Lui, grand maître de la Martinique allait devoir s’expliquer devant une assemblée de politiques chien-fer. Bonté divine c’était l’attaque de trop pour M. le béké.
Ne voulant surtout pas être crucifié comme un malpropre sur la place publique, il décida de les combattre avec leurs propres armes. De ce fait, il rendit visite à sa vieille nourrice qui vivait ses derniers jours dans une petite case juchée sur un de ses nombreux terrains.
-Ma chère maman Philomène, ils veulent ma peau. Yo lé fé an soukaï épi mwen.
-Mais non mon fils, ne t’inquiète pas. J’ai la solution à ton problème.
-Oh merci maman fifi. Tu as toujours été bonne avec moi.
-Ce n’est rien mon enfant. Avant que tu t’en aille promet moi que tu n’oublieras pas ta promesse.
-Oui maman je ne t’oublierai pas.
-Bien mon enfant, maintenant ouvre grand tes oreilles et prend ce fil rouge.
Suivant fidèlement les recommandations de sa soutireuse de nourrice, Jacques tua à main nu un rat de sexe féminin en le baptisant au nom de la responsable de l’enquête. Puis il ficela solidement l’animal avec le fil rouge. Il rédigea méthodiquement une lettre à l’encre rouge qui détaillait toute l’affaire qui le concernait.
Le béké quimboiseur attacha la lettre au rat et l’enterra devant chez lui. Et pour finir il murmura : « Rat, je fais ton enterrement, c’est pour tu ailles me ronger les dossiers où mon nom y figure au palais de Justice de Fort de France. »
En guise de paiement, il déposa une pièce sur la tombe du rongeur et versa un filet de rhum blanc. Attention pas n’importe quel rhum hon ! Un millésime jalousement gardé par sa famille depuis nanni nannan.
Une semaine après, ce fut avec un grand soulagement que M. de la Villardière découvrit les titres des journaux locaux : Perte inexpliquée des dossiers dans l’affaire chlordécone. Le mal chien jubilait, tout den’y té dewo balan i té kontan.
Malgré l’air du numérique le palais de justice n’avait pas eu les moyens et le temps d’archiver les dossiers.
Enfin Jacko pouvait dormir paisiblement, aucun mal nègre ne pouvait l’accuser sous peine d’une plainte pour diffamation. Malgré le désordre dans l’opinion publique, il s’attela à redorer son image. M. de la Villardière créa un fond d’investissement pour encourager l’agriculture bio et sans pesticide.
Ses magasins d’alimentation valorisaient les produits locaux et baissaient les prix sur les produits ménagers. Et oui malgré la colère du peuple, Papa Béké continuait paisiblement son règne de grand Seigneur. Mais fort heureusement, sa félicité fut de courte durée.
M. de la Villardière avait promis à sa nourrice Philomène qu’a sa mort, il accepterait de vendre à bas prix une parcelle de son terrain au profit de son neveu Antonin. Mais eu lieu de respecter sa parole, il préféra vendre son terrain à un autre béké.
De ce fait, Antonin respecta les dernières paroles de sa vieille tante :
-Mon yich, si Jacko te fait une entourloupe, sous une planche en bois dans ma chambre se trouve ta revanche. Ne l’utilise que s’il n’a pas tenu sa promesse. Sinon je viendrai te tourmenter dans ton sommeil oui !
Aussitôt Antonin, retrouva le fameux journal de sa tante. A la première page, figurait le procédé du rat dévoreur de dossier. Et juste en bas, Man Philomène avait annoté que pour retourner le sortilège, il fallait tuer un rat mâle et le ficeler avec le reste du fil noir qu’elle avait conservé.
Le neveu n’avait peut être pas pu acheter le terrain mais en tout cas le vendeur fut retrouvé raide mort rongé par des milliers de rat au beau milieu de la nuit. Ne voulant pas que cette affaire s’ébruite, la famille de la Villardière annonça sa mort subite par crise cardiaque.
Valérie RODNEY
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