Sé mwen ki ka manjé lanbi manman’w
Plak, plak, plok, plak , blo ! Ce bruit incessant était ponctué de gémissement et de cris étouffés. Giovanni n’en pouvait plus. Malgré les boules quies dans ses oreilles ainsi qu’une montagne d’oreiller, il entendait toujours la bacchanale de fesse qui se déroulait dans la chambre d’à côté. De plus, le jeune homme devait se maîtriser pour ne pas bander, son membre devait absolument rester inerte et muet face à l’appel.
Comprenez que dans la pièce d’à côté, son isalop de beau-père s’amusait à faire taper la tête de sa pauvre mère sur la tête de lit en bois de courbaril. Puis avec sa langue de kochonni, il devait sans doute engloutir la landjèt de son épouse. Glouk, glouk, oh oui, ce salopard de Mickaël voulait troubler le sommeil de son beau-fils. Giovanni en était sûr. Mickaël voulait lui signifier que c’est lui et lui seul qui kokè sa mère, et de plus admirablement bien. La preuve Françoise en pleurait de joie à la fin, tout comme son fils, mais de rage.
Faut dire que ces deux-là se détestaient depuis le lycée. Mickaël et Giovanni furent dans la même classe de Terminal S au Lycée de Bellevue. Yan pa té sa wè djol lot-la ! À l’époque, Mickaël sortait depuis un an avec Laurine, une espèce de belle fanm au gwo bonda qui était dans une autre classe. Bien évidemment, les yeux de Giovanni ne pouvaient pas s’empêcher de mater les attributs de Laurine lors des cours particuliers de mathématiques à Lékol +.
Ce fut donc tous les mardis et jeudis après l’école que Giovanni en profitait pour déranger la fille de la personne afin de lui susurrer des choses pas très catholiques pendant que Mickaël jouait dans son équipe de hand-ball. En quelques semaines, Giovanni avait détourné la candide Laurine. D’ailleurs, c’est lui qui avait raflé son innocente fleur dans une cage d’escalier alors que Mickaël espérait depuis près d’une année interminable. Sans grande surprise, cette histoire entraîna un combat entre les deux jeunes hommes devant le portail du lycée. Depuis, Giovanni et Mickaël se détestait. De plus à cause de son gwo pwèl Mickaël avait raté son baccalauréat sous le ricanement de Giovanni.
Bref, les années s’écoulèrent, Giovanni était devenu kinésithérapeute et coach sportif. Il exerçait à Morne Zabriko et gagnait très bien sa vie. Du jeudi au dimanche, mussieu était soit en soirée ou sur son bateau en train de se faire sucer par une de ses nombreuses gérances. Jusqu’au jour où il rencontra Namiko. Une belle métisse qui était le fruit d’un kamasutra entre le Japon et la Martinique. À peine six mois après leur rencontre, le bougre l’épousa en se promettant d’être un mari exemplaire. Pour sûr, il tint parole. Il ne sortait plus comme avant. De plus, il avait supprimé et bloqué les numéros de ses maquettes. La koukoun de Namiko lui avait donné un bon rété trankil wi !
Cependant, la coquine partageait son cauri sucré avec Nelson, un loulou originaire de Sainte-Lucie qui faisait des allers-retours entre la prison de Ducos et Rodney Bay.
Le choc fut fatal tout comme l’état de ses finances. Malgré ses gros revenus, Giovanni s’était endetté pour combler la luxure de Namiko. Madame voulait un plus gros bateau, une plus grande villa, des diamants et des Coco Chanel. D’ailleurs avec ses bijoux en or, elle avait même acheté un jet-ski pour son loulou afin qu’il puisse mieux échapper à la police en fuyant par la mer. Aveuglé par l’amour, tous ses biens étaient au nom de son épouse. Mi bwabwa ! Tjip !
Comme un chien dépwélé, Giovanni fut contraint de retourner vivre chez sa mère, veuve depuis fort longtemps. Mais trois mois, plus tard, Françoise annonça toute joyeuse que son mystérieux amoureux lui avait enfin demandé en mariage. Elle l’avait rencontré dans son groupe de prière au Temple du Grand Retour du Sauveur. Quelle ne fut pas sa surprise, lorsque le mystérieux amoureux s’avérait être Mickaël ! Giovanni faillit s’étouffer sur place balan i soté :
– Mais maman, cet homme à mon âge ? Tu aurais pu être sa mère également ! Tonna Giovanni.
– En effet, j’aurai pu, mais je ne le suis pas mon fils. Que le Seigneur me donne assez de force pour pouvoir l’assaisonner et le manger bien comme il faut, répondit-elle en dévorant du regard son fiancé.
S’est donc encore plus choqué que le fils assista aux épousailles de sa mère à la mairie du Lamentin. Même si, il détestait son beau-père, Giovanni s’évertua à faire taire les mauvaises langues qui cisaillaient le dos de sa mère. En effet, ce n’était pas encore dans les mœurs qu’une grande dame de 70 ans épouse un jeune homme de 31 ans. Depuis, Giovanni devait entendre tous les soirs le fameux plak, plak, plok, plak , blo !
Un bon matin, n’y tenant plus Giovanni s’emporta auprès de son beau-père.
– Espèce de salopard, de toutes les femmes sur cette foutue île, il a fallu que tu choisisses ma mère ! Je le jure, Mikaël, an jou man ké twé’w !
– Mon Cher Beau-fils, maintenant que je koke ta mère légalement et sous la bénédiction du Tout-puissant, tu saurais gré de m’appeler beau-papa et non plus par mon prénom. De plus, c’est moi qui paye l’eau, l’électricité, les impôts, les courses, et même tes céréales du matin, donc si tu veux continuer à vivre sous notre toit, tu vas devoir fermer ta gueule et ne plus gigoter dans ton lit pendant que je m’occupe de ma coquine de Françoise. Jésus, Marie, Joseph si ou té sav ti manma’y ! Manman’w sé an fanm wi ! Répondit-il en tapant la main sur la table à manger.
Le bol de céréale de Giovanni s’envola pour se fesser à terre. Giovanni aurait voulu planter sa cuillère dans les yeux du mal chien. Mais il préféra se lever pour prendre un bol d’air afin d’éviter un meurtre. Malgré la tension, Mikaël ne put s’empêcher de lâcher « sé mwen ka koumandé ». Aigri, Giovanni roula à vive allure et sans but sur la route de la Trace. Arrivé à la rivière d’Absalon, il s’arrêta pour s’y baigner. Il espérait que l’eau du cours d’eau refroidisse ses pensées meurtrières.
Heureusement, il n’y avait personne, pas même ces touristes, toujours de plus en plus nombreux et bruyants. Assi sur une grosse roche, Giovanni tenta de méditer. Il avait appris à le faire suite à une formation lors d’un congrès pour les kinésithérapeutes en Belgique.
Inspiration… Expiration… Le calme revint s’emparer de son esprit. La colère semblait se dissiper. Puis soudainement, il entendit une voix résonner dans sa tête :
-Oh compère, c’est laid pour toi han ! Ton pire ennemie koke ta mère, hahaha, la bonne blague.
Giovanni faillit tomber dans l’eau, mais vaillant, il répondit fébrilement :
–Ki moun ki la ?!
–Koyo
–Poutji man pé pa wè’w han ?
–Bésil, man sé an danti !
–An danti, ki sa ki la !
–Ou two bwabwa pou konpran ! Disons qu’antan lontan, j’ai vécu sur cette île. D’ailleurs, je fus un grand guérisseur. Ne croit pas que je le dis pour me vanter. Bref, après ma mort, je suis devenu un danti grâce à des rituels faits par ma fille.
–Man ka vini fou !
– Pour sûr mon enfant oui, si ton beau-papa continu avec ta maman.
–Je sens que je vais le tuer !
–Mais non, tuer ne sert à rien. J’ai mieux pour toi.
–C’est-à-dire ?
–Dès ce soir, je viendrai foutre une calotte à ton beau-père. Attention ti gason une espèce de manman kalot wi. A chaque fois qu’il va bander man ka bay-li yon. Plak an tèt !
–Et que dois-je faire en retour ? Fok pa ou koupran man kouyon ! Yo toujou di mwen lé an zespri ka fè an bagay ba’w, fok-ou péyé.
–An ti bagay ! J’ai juste besoin d’une libation une fois par mois avec quelques offrandes.
–Ki ofrand ?
–Des bougies vertes, du café et des graines de papayes. Rien de coûteux.
Giovanni accepta et comme convenu, tous les soirs Mikaël recevait une manman kalot sur les joues ou derrière la tête lorsqu’il avait des idées vicieuses envers sa femme. Ces gifles lui rappelaient les grosses calbèches du paternel sur son crâne d’œuf. À chaque fois, le bougre retenait de justesse ses larmichettes de manikou apeuré.
De plus, il évita d’en parler à son épouse en prétextant une grosse fatigue due au travail. Pendant ce temps, Giovanni dormait paisiblement en ricanant tandis que sa mère boudait. Elle, qui aimait frapper sa tête sur le bois de courbaril, quitte avoir des bosses.
Faut savoir que Mickaël n’était pas un mouton qui se contentait de prier au temple tous les dimanches. Hanhan, à la Martinique que nous sommes ében bondié ! Derrière le dos de Jézikri, les nègres transmettaient toujours leurs petits rituels ancestrales anba fey. Ki sa ou té konpran han ?
Depuis peu, Mikaël sentait une entité présente dans sa chambre. Lorsqu’il rêvait, il voyait un grand homme se promener dans sa maison. Une fois, l’homme lui avait même adressé la parole, mais en vain. Au réveil, Mikaël se rendit auprès du calebassier de la maison familiale. Selon les vieilles tantes, c’était le reposoir des esprits de la lignée maternelle. Pour se connecter à eux, il fallait faire des rituels.
De ce fait, pendant trois jours, il fit des libations et des offrandes au pied du calebassier. Puis le troisième jour à l’aube, il prit un ben féyaj avec les feuilles de l’arbre à la mer. Une semaine après, il revit l’homme en songe. Celui-ci vint à sa rencontre afin de le mettre en garde :
–Enfin, tu as fait le nécessaire pour ne pas oublier ma parole !
-Qui es-tu ?
-Togzi, le gad de ta famille. Herveline, ton arrière-arrière-grand-mère, m’a créé pour protéger sa descendance. Mais à force de prier dans un temple pour quelqu’un qui a d’autres choses à foutre que de s’occuper de toi, tes oreilles se sont bouchées Mikaël.
-Donc tu sais pourquoi je reçois des claques invisibles ?
-C’est Koyo un danti envoyé par ton beau-fils. C’est pour t’empêcher de koké ta dame.
-Le scélérat ! Que dois-je faire ?
-Mon chè, pour commencer, il faut que tu me donnes l’autorisation d’intervenir. Sans ton accord, je ne peux rien faire contre Koyo.
-Et pour Giovanni ?
-Je peux m’en charger également.
-Fait ce que tu as à faire, après tout, je ne fais que me protéger.
Comme convenu, lorsque Koyo vint foutre une calotte mystique à Mikaël, son gad familial intervint pour le neutraliser. Étant un Papa gad, Togzi musela à tout jamais Koyo en l’amarrant à une vulgaire roche cachée dans les bois de Fonds-Saint-Denis.
Pour Giovanni, le gad fit en sorte que dès le coucher du soleil, il entendait les gémissements de sa mère ainsi que son beau-père au creux des oreilles jusqu’au lever du jour.
Et c’est lorsqu’il fut à deux doigts d’être interné en hôpital psychiatrique que Mikaël leva la sanction par amour pour son épouse tourmentée par l’état de son unique enfant. Depuis ce jour, Giovanni prit pour habitude d’appeler Mikaël, beau-papa.
Valérie RODNEY
Mais quelle histoire, ce fût un régal de la lire…